Chapitre 14 : La machination (extrait disponible)

Le visage hâlé, Chotard sirotait une bière au comptoir. Une avarie l'avait contraint à une escale plus longue que prévue dans les îles Fidji. Affublé d'un tee-shirt rayé, d'un bonnet en laine bleue et d'une barbe poivre et sel abondante, il ressemblait à s'y méprendre à un vieux loup de mer. Six mois s'étaient écoulés depuis son départ de France. Son tour du monde en voilier avait pris des allures de voyage au long cours. Pour la première fois de sa vie, son existence ne se résumait pas à une course contre le temps. S'il pensait parfois à la politique, c'était toujours sans la moindre nostalgie dans le coeur. Cette maîtresse-femme lui avait beaucoup donné mais il mesurait maintenant tout ce qu'elle lui avait pris : les couchers de soleil sur la mer, le bruit du vent dans les voiles, le farniente au grand air, ces mille et un bonheurs parfaits que la nature vous procure, pour peu qu'on prenne le temps de la regarder, de vivre à son rythme.
Au début de son périple, il se ruait à chacune de ses escales sur le premier marchand de journaux venu pour s'enquérir de la situation en France. Maintenant, il n'en éprouvait même plus le besoin. Sa vie se partageait désormais entre l'océan et ces terres du bout du monde, sur lesquelles son bateau venait mouiller, selon son humeur et les aléas du voyage.
Le téléphone sonna derrière le bar. Le serveur, très couleur locale, une chemisette fleurie nouée à la taille, un chapeau de paille vissé sur la tête, décrocha. Il jeta un coup d'oeil circulaire dans la salle.
"Une minute, dit-il à la voix à l'autre bout du fil."
Il s'avança vers Chotard.
"Capitaine, un appel pour vous.
- Pour moi ! répondit Chotard, médusé."
Le serveur lui tendit le combiné.
"Qui est à l'appareil ?
- Jean, c'est vous ?
- Affirmatif. Parlez plus fort, j'ai du mal à vous entendre.
- C'est Bellichian.
- Bellichian ! Diable ! D'où m'appelez-vous ?
- D'une cabine téléphonique. Nous pouvons parler sans risque.
- Comment m'avez-vous retrouvé ?
- Cela fait un mois que je téléphone aux quatre coins de la planète dans l'espoir de vous joindre.
- Que se passe-t-il, Edmond ?
- Nous avons le plus grand besoin de vous ici.
- Le pays est à feu et à sang?
- J'aurais préféré que ce soit le pays... Malheureusement, c'est bien pire : ce sont les hommes politiques.
- Allons bon !
- Au train où vont les choses, ils vont tous finir par se retrouver sous les verrous.
- Les affaires ?
- Oui.
- Mais que fait le ministre de la Justice ?
- Ce que lui dit de faire Ernest : rien.
- Evidemment !
- Il ne se passe plus un jour sans que la presse ne dévoile un nouveau scandale. Elle passe son temps à faire les poubelles de la République. Les juges font la pluie et le beau temps désormais. Ils ne nous laissent plus une minute de répit. Leurs services passent les notes de frais de la République au peigne fin. Le moindre dîner d'affaires prend des allures de pacte de corruption. C'est bientôt eux qui vont gouverner le pays, si ça continue. L'un d'eux s'apprête d'ailleurs à mettre en Pessac en examen.
- Il est toujours ministre de l'Intérieur ?
- Malheureusement.
- Eh bien, c'est un moindre mal... Imaginez qu'il ait été nommé garde des Sceaux!
- Peut-être n'en serions-nous pas là !
- Tout ceci est bien regrettable, Edmond. Nous n'avions pas envisagé l'hypothèse qu'Ernest soit honnête, voilà tout. Nous aurions dû pourtant savoir que c'est le risque que l'on courre avec les hommes qui ne sont pas issus, comme nous autres, du sérail. Mais que voulez-vous que j'y fasse maintenant ?
- Il n'y a pourtant que vous qui ailliez le pouvoir d'éviter à la classe politique de sombrer corps et biens, Jean.
- Donnez-moi son téléphone.
- Mais non, c'est peine perdue ! C'est une vraie tête de mule.
- Alors débrouillez-vous, mon vieux. Moi, j'ai décroché maintenant.
- Jean, vous ne me ferez jamais croire que le sort de vos amis vous est devenu subitement indifférent.
- Certes non. Mais enfin, c'est lui le Président maintenant.
- Par procuration seulement.
- Cela ne change rien : je n'ai nullement l'intention de revenir aux affaires.
- Pour l'amour du ciel, Jean, je vous en conjure, acceptez au moins de revenir à Paris quelque temps. Vous vous rendrez mieux compte de la gravité de la situation en étant sur place."
Chotard conserva le silence.
"Allô, Jean ?
- Oui, je vous entends.
- Jean, je vous en supplie. Si vous ne le faites pas pour moi, faites-le au moins en souvenir de vos trente années de vie politique. Une semaine, je ne vous en demande pas plus.
- Bon, bon... C'est entendu."

Trois jours plus tard, un avion d'Air France, en provenance de Mélanésie, atterrissait à Roissy avec Chotard à son bord.
Bellichian lui avait donné rendez-vous dans sa maison de campagne. A son arrivée, il le trouva installé dans le jardin, un journal à la main. Il vint l'accueillir à sa descente de voiture. L'ex-Premier ministre, malgré un sourire de façade, arborait sa mine sombre des mauvais jours.
Après avoir échangé quelques banalités, les deux hommes se dirigèrent vers l'intérieur de la maison.
Bellichian alla droit au but.
"Eh bien, Jean, on peut dire que vous ne pouviez mieux tomber ! Ou plus mal ! Les événements se précipitent!"
Il lui tendit "le Monde" de la veille. Une manchette s'étalait sur cinq colonnes à sa une : "Horace Duranson, secrétaire général du PGF, a été mis en examen pour trafic d'influence, recel d'abus de biens sociaux, faux et usage de faux." Le sort de ce fidèle d'entre les fidèles de Chotard ne pourrait décemment laisser ce dernier indifférent.
Chotard lut l'article à toute vitesse. Puis il reposa, l'oeil noir, l'exemplaire du journal.
"Je constate malheureusement que vous ne m'aviez pas menti, laissa-t-il tomber. Que peut-on faire Edmond ?
- J'ai bien une petite idée. Mais enfin, j'aimerais connaître votre sentiment avant de vous l'exposer.

...
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